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Le peuple d'Haïti proclame, en présence de l'Être suprême, la présente Constitution :
Adoptée après l'assassinat de Dessalines, elle entraîne la partition du pays entre le Nord et le Sud.
1806-12-27
Le peuple d'Haïti proclame, en présence de l'Être suprême, la présente Constitution :
Il ne peut exister d'esclaves sur le territoire de la République; l'esclavage y est à jamais aboli.
La République d'Haïti ne formera jamais aucune entreprise dans les vues de faire des conquêtes, ni de troubler la paix et le régime intérieur des îles étrangères.
Les droits de l'homme en société sont : la liberté, l'égalité, la sûreté, la propriété.
La liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui.
L'égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. L'égalité n'admet aucune distinction de naissance, aucune hérédité de pouvoirs.
La sûreté résulte du concours de tous pour assurer les droits de chacun.
La propriété est le droit de jouir et de disposer de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.
La propriété est inviolable et sacrée ; toute personne, soit par elle-même, soit par ses représentants, a la libre disposition de ce qui est reconnu lui appartenir. Quiconque porte atteinte à ce doit se rend criminel envers la personne troublée dans sa propriété.
La loi est la volonté générale exprimée par la majorité ou des citoyens ou de leurs représentants.
Ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché ; nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.
Aucune loi, ni civile, ni criminelle, ne peut avoir d'effet rétroactif.
La souveraineté réside essentiellement dans l'universalité des citoyens ; nul individu, nulle réunion partielle de citoyens ne peut s'attribuer la souveraineté.
Nul ne peut, sans une délégation légale, exercer aucune autorité ni remplir aucune fonction publique.
Les fonctions publiques ne peuvent devenir la propriété de ceux qui les exercent.
La garantie sociale ne peut exister, si la division des pouvoirs n'est pas établie, si leurs limites ne sont pas fixées, et si la responsabilité des fonctionnaires publics n'est pas assurée.
Tous les devoirs de l'homme et du citoyen dérivent de ces deux principes gravés par la nature dans les coeurs : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît. » « Faites constamment aux autres tout le bien que vous en voudriez recevoir. »
Les obligations de chacun envers la société consistent à la défendre, à la servir, à vivre soumis aux lois et à respecter ceux qui en sont les organes.
Nul n'est bon citoyen, s'il n'est bon fils, bon père, bon frère, bon ami, bon époux.
Nul n'est homme de bien, s'il n'est franchement et religieusement observateur des lois.
Celui qui viole ouvertement les lois se déclare en état de guerre avec la société.
Celui qui, sans enfreindre ouvertement les lois les élude par ruse ou par adresse, blesse les intérêts de tous ; il se rend indigne de leur bienveillance et de leur estime.
C'est sur le maintien des propriétés que reposent la culture des terre, toutes les productions, tout moyen de travail et tout l'ordre social.
Tout citoyen doit ses services à la patrie et au maintien de la liberté, de l'égalité et de la propriété, toutes les fois que la loi l'appelle à les défendre.
La maison de chaque citoyen est un asile inviolable. Pendant la nuit, nul n'a le droit d'y entrer que dans le cas d'incendie, d'inondation et de réclamation de l'intérieur de la maison. Pendant le jour, on peut y entrer pour un objet spécial, déterminé ou par une loi ou par un ordre émané d'une autorité publique.
Aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi et pour la personne ou pour l'objet expressément désigné dans l'acte qui ordonne la visite.
Nul ne peut être empêché de dire, écrire et publier sa pensée. Les écrits ne peuvent être soumis à aucune censure avant leur publication. Nul ne peut être responsable de ce qu'il a écrit ou publié que dans les cas prévus par la loi.
Aucun blanc, quelle que soit sa nation, ne pourra mettre le pied sur ce territoire à titre de maître ou de propriétaire.
Sont reconnus Haïtiens les blancs qui font partie de l'armée, ceux qui exercent des fonctions civiles, et ceux qui sont admis dans la République à la publication de la présente constitution.
L'île d'Haïti (ci-devant appelée Saint-Domingue) avec les îles adjacentes qui en dépendent forment le territoire de la République d'Haïti.
Le territoire de la République est divisé en quatre département, savoir : Les départements du Sud, de l'Ouest, de l'Artibonite et du Nord. Les autres département seront désignés par le Sénat, qui fixera leurs limites.
Les départements du Sud, de l'Ouest, de l'Artibonite (ci-devant Louverture) et du Nord conserveront leurs limites ainsi qu'elles sont fixées par la loi de l'Assemblée Centrale de Saint Domingue, en date du 13 juillet 1801, sur la division du territoire.
Les départements seront divisés en arrondissements et en paroisses. Le Sénat fixera le nombre d'arrondissements et de paroisses qu'il y aura dans chaque département et désignera leurs limites. Le Sénat peut changer et rectifier les limites des départements, arrondissements et paroisses, lorsqu'il le juge convenable.
L'exercice des droits des citoyens se perd par la condamnation à des peines afflictives et infamantes.
L'exercice des droits de citoyen est suspendu : 1° par l'interdiction judiciaire, pour cause de fureur, de démence ou d'imbécillité ; 2° par l'état de débiteur failli ou d'héritier immédiat détenteur à titre gratuit de tout ou partie de la succession d'un failli ; 3° par l'état de domestique à gages ; 4° par l'état d'accusation ; 5° par un jugement de contumace, tant que le jugement n'est pas anéanti.
La religion catholique, apostolique et romaine étant celle de tous les Haïtiens, est la religion de l'État. Elle sera spécialement protégée ainsi que ses ministres.
La loi assigne à chaque ministre de la religion l'étendue de son administration spirituelle. Ces ministres ne peuvent, sous aucun prétexte, former un corps dans l'État.
Si, par la suite, il s'introduit d'autre religion, nul ne pourra être empêché, en se conformant aux lois, d'exercer le culte religieux qu'il aura choisi.
Le mariage, par son institution civile et religieuse, tendant à la pureté des moeurs, les époux qui pratiqueront les vertus qu'exige leur état seront toujours distingués et spécialement protégés par le gouvernement.
Les droits des enfants nés hors mariage seront fixés par les lois qui tendront à répandre les vertus sociales, à encourager et cimenter les liens des familles.
Le pouvoir législatif réside dans un Sénat.
Le Sénat est composé de vingt-quatre membres.
Le Sénat a exclusivement le droit de fixer les dépenses publiques, d'établir les contributions publiques, d'en déterminer la nature, la quotité, la durée, le mode de perception ; ... en un mot d'exercer l'autorité législative exclusivement et dans tous les cas.
Les fonctions extérieures et tout ce qui peut les concerner appartiennent au Sénat seul.
Les sénateurs, pour cette fois, seront nommés par l'Assemblée constituante d'Haïti. Un tiers sera nommé pour trois ans, un tiers pour six ans et un tiers pour neuf ans.
Les sénateurs, à l'avenir, exerceront leurs fonctions pendant neuf ans et seront nommés ainsi qu'il est dit ci-après.
Tous les trois ans, du 1er au 10 du mois de novembre, les assemblées paroissiales se convoqueront de plein droit, dans chaque département, et nommeront un électeur.
Le président fait sceller les lois et les autres actes du Sénat dans les deux jours après leur réception. Il fait sceller et promulguer dans le jour, les lois et actes du Sénat qui sont précédés d'un décret d'urgence.
La publication de la loi et des actes du Corps législatif est faite en ces termes : Au nom de la République (Loi ou acte du Sénat) Le Président d'Haïti ordonne que la loi ou l'acte législatif ci-dessus, soit publié et exécuté, et qu'il soit revêtu du sceau de la République.
Le pouvoir exécutif est délégué à un magistrat qui prend le titre de Président d'Haïti.
Le Président sera nommé pour cette fois par l'Assemblée constituante.
Les juges ne peuvent s'immiscer dans l'exercice du pouvoir législatif, ni faire aucun règlement.
Ils ne peuvent arrêter ni suspendre l'exécution d'aucune loi, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions.
Il y a une Haute Cour de justice pour juger les accusations admises par le Corps législatif, soit contre ses propres membres, soit contre le Président ou contre le secrétaire d'État.
La force armée est essentiellement obéissante ; elle ne peut jamais délibérer ; elle ne peut être mise en mouvement que pour le maintien de l'ordre public, la protection due à tous les citoyens, et la défense de la République.
L'armée se divise en garde nationale soldée et en garde nationale non soldée.
La garde nationale non soldée ne sort des limites de sa paroisse que dans le cas d'un danger imminent et sur l'ordre et la responsabilité du commandant militaires ou de la place. Hors des limites de sa paroisse, elle devient soldée et soumise à la discipline militaire. Dans tout autre cas, elle n'est soumise qu'à la loi.
L'armée se recrute suivant le mode établi par la loi.
La culture, première source de la prospérité de l'État, sera protégée et encouragée.
La police des campagnes sera soumise à des lois particulières.
Le commerce, autre source de prospérité, ne souffrira point d'entraves et recevra la plus grande protection.
Il y aura un secrétaire d'État nommé par le Sénat, et qui résidera dans la ville où il tient ses séances; il ne pourra être nommé que par le Sénat seul, une fois assemblé.
Le Sénat fixe les attributions du secrétaire d'État.
Les comptes détaillés des dépenses publiques signés et certifiés par le secrétaire d'État, sont rendus au Sénat au commencement de chaque année. Il en sera de même des états de recettes des diverses attributions et de tous les revenus publics.
Si l'expérience faisait sentir les inconvénients de quelques articles de la Constitution, le Sénat en proposerait la révision.
Lorsque, dans un espace de neuf ans, à trois époques éloignées l'une de l'autre de trois années au moins, le Sénat aura demandé la révision de quelques articles de la Constitution, une Assemblée de révision sera alors convoquée.
La Constitution sera mise de suite en activité.
En attendant que les membres qui seront nommés par l'Assemblée constituante se réunissent au Port-au-Prince, dans le nombre prescrit par la Constitution, l'Assemblée constituante se formera en Assemblée législative, et fera tous les actes législatifs attribués au Sénat.
Aussitôt que les sénateurs seront rendus au Port-au-Prince, il en donneront connaissance à l'Assemblée législative qui sera tenue de se dissoudre de suite.
Signé : P. Bourjolly-Modé, David Troy, Boyer, Pélage Varein, Plésance, J. R. Sudre, D. Rigaud, B. Tabuteau, ... Almanjor fils et Monbrun, Secrétaires, Blanchet Jeune, Président.