Article 0
Le peuple haïtien proclame, en présence de l'Être suprême, la présente Constitution, pour consacrer à jamais ses droits, ses garanties civiles et politiques, et son indépendance nationale.
Adoptée après la chute de Boyer, elle instaure des réformes libérales et une nouvelle charte politique.
1843-12-30
Le peuple haïtien proclame, en présence de l'Être suprême, la présente Constitution, pour consacrer à jamais ses droits, ses garanties civiles et politiques, et son indépendance nationale.
L'île d'Haïti et les îles adjacentes qui en dépendent forment le territoire de la République.
Le territoire de la République est divisé en six départements. Ces départements sont : Le Sud, l'Ouest, l'Artibonite, le Nord, le Cibao, l'Ozama. Leurs limites seront établies par la loi.
Chaque département est subdivisé en arrondissements, chaque arrondissement en communes. Le nombre et les limites de ces subdivisions seront déterminés par la loi.
Les limites des départements, le nombre et les limites des arrondissements et des communes, ne pourront être changés ou rectifiés qu'en vertu d'une loi.
La République Haïtienne est une et indivisible, essentiellement libre, souveraine et indépendante. Son territoire est inviolable et ne peut être aliéné par aucun traité.
Sont Haïtiens tous individus nés en Haïti ou descendant d'Africain ou d'Indien, et tous ceux nés en pays étrangers d'un Haïtien ou d'une Haïtienne ; sont également Haïtiens tous ceux qui, jusqu'à ce jour, ont été reconnus en cette qualité.
Tout Africain ou Indien, et leurs descendants, sont habiles à devenir Haïtiens. La loi règle les formalités de la naturalisation.
Aucun blanc ne pourra acquérir la qualité d'Haïtien ni le droit de posséder aucun immeuble en Haïti.
La réunion des droits civils et politiques constitue la qualité de citoyen.
L'exercice des droits civils est réglé par la loi.
Tout citoyen âgé de 21 ans exerce les droits politiques. Néanmoins les Haïtiens naturalisés ne sont admis à cet exercice qu'après une année de résidence dans la République.
L'exercice des droits politiques se perd : 1° Par la naturalisation acquise en pays étranger ; 2° Par l'abandon de la Patrie au moment d'un danger imminent ; 3° Par l'acceptation, non autorisée, de fonctions publiques ou de pensions conférées par un gouvernement étranger ; 4° Par tous services rendus aux ennemis de la République, ou par toutes transactions faites avec eux ; 5° Par la condamnation contradictoire et définitive à des peines perpétuelles, à la fois afflictives et infamantes.
L'exercice des droits politiques est suspendu : 1° Par l'état de domestique à gages ; 2° Par l'état de banqueroutier simple ou frauduleux ; 3° Par l'état d'interdiction judiciaire, d'accusation ou de contumace ; 4° Par suite de condamnations judiciaires emportant la suspension des droits civils ; 5° Par suite d'un jugement constatant le refus du service dans la garde nationale. La suspension cesse avec les causes qui y ont donné lieu.
L'exercice des droits politiques ne peut se perdre ni être suspendu que dans les cas exprimés aux articles précédents.
La loi règle le cas où l'on peut recouvrer les droits politiques, le mode et les conditions à remplir à cet effet.
Les Haïtiens sont égaux devant la loi. Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et militaires.
Il n'y a dans l'état aucune distinction d'ordres.
La liberté individuelle est garantie. Chacun est libre d'aller, de rester, de partir, sans pouvoir être arrêté, détenu ou exilé, que dans les cas prévus par la loi, et selon les formes qu'elle prescrit.
Pour que l'acte qui ordonne l'arrestation d'une personne puisse être exécuté, il faut : 1° Qu'il exprime formellement le motif de l'arrestation et la loi en exécution de laquelle elle est ordonnée ; 2° Qu'il émane d'un fonctionnaire à qui la loi ait donné formellement ce pouvoir ; 3° Qu'il soit notifié à la personne arrêtée et qu'il lui en soit laissé copie. Toute arrestation faite hors des cas prévus par la loi et dans les formes qu'elle prescrit, toutes violences ou rigueurs employées dans l'exécution d'un mandat, sont des actes arbitraires auxquels chacun a le droit de résister.
Nul ne peut être distrait des juges que la Constitution ou la loi lui assigne.
La maison de toute personne habitant le territoire haïtien est un asile inviolable. Aucune visite domiciliaire, aucune saisie de papiers, ne peut avoir lieu qu'en vertu de la loi et dans les formes qu'elle prescrit.
Aucune loi ne peut avoir d'effet rétroactif. La loi rétroagit toutes les fois qu'elle ravit des droits acquis.
Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi.
La propriété est inviolable et sacrée. Les concessions et ventes faites par l'État demeurent irrévocables. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établie par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité.
La peine de la confiscation des biens ne peut être établie.
La peine de mort sera restreinte à certains cas déterminés par la loi.
Chacun a le droit d'exprimer ses opinions en toute matière, d'écrire, d'imprimer et de publier ses pensées. Ce droit ne peut être restreint par aucune loi préventive ni fiscale. Les abus de l'usage de ce droit sont définis et réprimés par la loi, sans qu'il puisse être porté atteinte à la liberté de la presse.
Tous les cultes sont également libres. Chacun a le droit de professer sa religion et d'exercer librement son culte, pourvu qu'il ne trouble pas l'ordre public.
L'établissement d'une église ou d'un temple, et l'exercice d'un culte, peuvent être réglés par la loi.
Nul ne peut être contraint de concourir, d'une manière quelconque, aux actes et aux cérémonies d'un culte, ni d'en observer les jours de repos.
L'enseignement est libre, et des écoles sont distribuées graduellement, à raison de la population. Chaque commune a des écoles primaires de l'un et de l'autre sexe, gratuites et communes à tous les citoyens. Les villes principales ont, en outre, des écoles supérieures où sont enseignés les éléments des sciences, des belles-lettres et des beaux-arts. Les langues usitées dans le pays sont enseignées dans ces écoles.
Le jury est établi en toutes matières criminelles, et pour délits politiques et de la presse. Sa décision n'est soumise à aucun recours. Elle ne peut être formée contre l'accusé qu'au deux tiers des voix.
Les Haïtiens ont le droit de s'assembler paisiblement et sans armes, même pour s'occuper d'objets politiques, en se conformant aux lois qui peuvent régler l'exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable. Cette disposition ne s'applique point aux rassemblements dans les lieux publics, lesquels restent entièrement soumis aux lois de police.
Les Haïtiens ont le droit de s'associer ; ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive.
Le droit de pétition est exercé personnellement par un ou plusieurs individus, jamais au nom d'un corps. Les pétitions peuvent être adressées, soit au pouvoir exécutif, soit au pouvoir législatif.
Le secret des lettres est inviolable. La loi détermine quels sont les agents responsables de la violation du secret des lettres confiées à la poste.
L'emploi des langues usitées en Haïti est facultatif, il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires.
Des établissements de secours publics et des maisons pénitentiaires seront créés et organisés dans les principales villes de la République.
Nulle autorisation préalable n'est nécessaire pour exercer des poursuites contre des fonctionnaires publics, pour fait de leur administration, sauf ce qui est statué à l'égard des secrétaires d'État.
La loi ne peut ni ajouter ni déroger à la Constitution. La lettre de la Constitution doit toujours prévaloir.
Tout principe du droit public, quoique non consacré, est préexistant aux pouvoirs délégués par la présente Constitution. Toute délégation de pouvoirs est restreinte dans ses termes.
La souveraineté nationale réside dans l'universalité des citoyens.
L'exercice de cette souveraineté est délégué à trois pouvoirs électifs et temporaires. Ces trois pouvoirs sont : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
Ces trois pouvoirs forment le gouvernement de la République, lequel est essentiellement civil et représentatif.
Chaque pouvoir s'exerce séparément ; chacun d'eux est indépendant des deux autres dans ses attributions. Aucun d'eux ne peut les déléguer, ni sortir des limites qui lui sont fixées. La responsabilité est attachée à chacun des actes des trois pouvoirs.
Aucun impôt au profit de l'État ne peut être établi que par une loi. Aucune charge, aucune imposition, soit d'arrondissement, soit communale, ne peut être établie que du consentement respectif du conseil d'arrondissement ou du comité municipal. La loi détermine les exceptions dont l'expérience démontrera la nécessité, relativement aux impositions d'arrondissement et communales.
La force publique est instituée pour défendre l'État contre les ennemis du dehors, et pour assurer au dedans le maintien de l'exécution des lois.
Les couleurs nationales sont le bleu et le rouge placés horizontalement. Les armes de la République sont le palmiste surmonté du bonnet de la liberté et orné d'un trophée d'armes avec la légende : L'union fait la force.
Le pouvoir législatif, sur la proposition de l'une des Chambres, a le droit de déclarer qu'il y a lieu à réviser telles dispositions constitutionnelles qu'il désigne. Cette déclaration, qui ne peut être faite que dans la dernière session d'une période de la Chambre des communes, est publiée immédiatement dans toute l'étendue de la République.
Le Président de la République sera élu pour la première fois par l'Assemblée constituante. Cette Assemblée recevra son serment et l'installera dans ses fonctions.
La présente Constitution sera publiée et exécutée dans toute l'étendue de la République ; toutes lois, décrets, arrêtés, règlements et autres actes qui y sont contraires seront annulés.
Article unique. En conformité de l'article 204, le citoyen Charles Hérard aîné (Rivière), ayant réuni la majorité des suffrages, est proclamé Président de la République haïtienne. Il entrera en charge immédiatement, pour en sortir le 15 de mai 1848.
**Fait au Port-Républicain, le 30 décembre 1843, an XL de l'Indépendance d'Haïti et le 1er de la Régénération.** Signé : Adelson Douyon, Alcius Ponthieux, Francklin, Bazin, A. Larochel, A. Martin, Davezac, A. Clément, Bédainque, R. J. Simon, Valdès, R. Alexandre, Louis-Joseph Baille, Charles Picart, C. M. Westen, Corvoisier, Barjon fils, David Saint-Preux, A. J. Chanlatte, Mouras fils, David Troy, D. Benoit, P. Panayoti, D. Lespinasse, Dorsaintville Dautant, P. André, P. Beaufossé, D. Thézard, Ch. Devimeux, F Dorville, F Poisson, F. Donat, Nelcourt, F. Peralta, Prophète, G. Hipolite, Fabre Geffrard, Salès, J. S. Hippolyte, Baugé, Aug. Elie, J. Latortue, J. Courtois, Mullery, R. A. Laborde, J. Paul, J. Magny, F Acloque, J François, J Ch. Junca, J. L. Santel, J. Saint-Amand, Dupérier, J Oscar Laporte, Fontil Tesson, Mode fils, Pilorge, Dr J. H. Fresnel, Lubérisse Barthelemy, Laudun, Lapice, L. Normil Dubois, Joseph-Alexandre Dupuy, Joseph Borelly, Montmorency Benjamin, Muzaine, M. Ambroise, M. Volel, M. B. Castellano, Miguel Antonio, Rojas, François Romain, Lherisson, Maximilien Zamor, P. Bergès, J. Népomucène Tejera, P. L. Osias, Tabuteau, B. A. Dupuy, P. Michel, P' A Sthélé, Remigio del Castillo, T. A. Blanchet, V. Plésance, S. Simonisse, S. Paret, Saint-Aude fils, Torribio Lopez, Villanueva, Thomas Presse, E. Heurtelou, Villefranche, E. Manigat, M. Marsse, M. J. Charlot, F. Roche, Charles Alerte, Covin aîné, N. Félix, E. Nau, S. Hérard Dumesle (président), Louis B. Eusèbe (vice-président), Damier, Grandchamp fils, Vrigneaux, J. A. Gardère (secrétaires).